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La Heidi d'Éthiopie

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Une tâche ardue et plaisante

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L‘Érythréenne Adiam prend les choses avec calme même dans des situations difficiles. Elle a fait de la Suisse sa deuxième patrie. À présent, elle organise un lieu de rencontre pour les jeunes. Elle veut leur donner la chance de prendre leur destin en main.

Par Carole Scheidegger

Pour les personnes qui résident depuis longtemps en Suisse, le suisse-allemand est une source d’amusement permanente. Si l’on rencontre quelqu’un d’un autre canton, le dialecte devient très vite un sujet de conversation: est-ce que tu dis Öpfu ou Öpfel? Föum ou Film? Äuä ou jo wa?

Pour les personnes qui arrivent en Suisse, le dialecte peut être un grand obstacle. Adiam Welda Gabriel en a fait l’expérience. Cette Erythréenne de 23 ans est venue en Suisse à l’âge de 11 ans, avec sa mère et ses trois frères et sœurs. Pendant les deux premières années, la famille a dû souvent déménager. Elle a été logée tout d’abord en Suisse romande, puis dans diverses communes d’Argovie. Après une année, Adiam est allée à l’école. «C’était vraiment difficile pour moi. Je parlais certes un peu le bon allemand mais, pendant la récréation, les enfants parlaient suisse-allemand. Je ne comprenais pas grand-chose», se souvient la jeune femme. Mais elle a vite fait des progrès.

Soutenir les jeunes
Adiam a très tôt compris l’importance de la langue pour la compréhension mutuelle. C’est aussi un facteur important pour son projet actuel. Adiam est en train de créer un lieu de rencontre où les jeunes, avec ou sans expérience de la migration, pourront se retrouver, échanger et apprendre davantage les uns et des autres. Ils pourront également renforcer leurs compétences et développer leurs propres ressources. Ils apprendront par exemple à diriger un projet et à travailler de façon indépendante. De plus, diverses activités leur seront proposées: visites de musées, tournois de football, promenades dans des parcs, ateliers sur des thèmes très variés, etc. Ce qui compte pour Adiam, c’est que les jeunes puissent réaliser leurs propres idées. «Il s’agit de les aider à se débrouiller. Nous ne voulons pas leur dire ce qu’ils doivent faire, ce sont les jeunes qui décideront eux-mêmes. Il s’agit aussi de leur donner des outils pour se réaliser.»

Lors de la première rencontre, 25 personnes sont venues, mais les Suisses et les Suissesses manquaient encore au rendez-vous. Adiam avait d’abord cherché activement de jeunes réfugié·e·s en se rendant dans des foyers pour requérant·e·s mineur·e·s non accompagné·e·s. À présent, elle désire aborder davantage les jeunes Suisses.

Qu’est-ce qui a poussé la jeune femme à investir autant d’énergie dans la création d’un lieu de rencontre pour la jeunesse? Cela me peinait de voir de nombreux jeunes d’Érythrée traîner dans les gares. «Ne serait-ce pas mieux d’avoir un lieu de rencontre plus approprié?», me suis-je alors dit. «Si je ne fais pas quelque chose, alors qui le fera?».

Ne pas les mettre tous dans le même sac
L‘Érythrée – un pays qui fait souvent l’objet de discussions. Et même pour participer à ces discussions, les connaissances linguistiques sont d’une grande importance pour Adiam. «Lorsqu’un Érythréen fait quelque chose de mal, c’est toujours le même commentaire: Ah, ces Érythréens! Comme si tous mes compatriotes étaient responsables de cet acte. Il y a de bons et de mauvais Érythréens. Tout comme il y a de bons et de mauvais Suisses. Cela me rend parfois furieuse que les gens nous mettent toutes et tous dans le même sac.» À présent, elle peut répondre à de tels reproches et aussi raconter ce qu’elle a vécu dans son pays d’origine et pourquoi elle est ici maintenant. Lorsque son père a fui le pays, sa mère s’est retrouvée provisoire- ment en prison, raconte Adiam. «Il ne me restait à cette époque plus que six ans jusqu’à mon service militaire. Et comme la durée du service est illimitée, j’aurais peut-être dû rester définitivement dans l’armée. Mes parents n’ont pas voulu de cela pour moi, ni pour mes trois frères et sœurs plus jeunes.» C’est pourquoi nous avons pris la fuite.

Forger des plans
Adiam n’a jamais pu retourner en Érythrée. Son grand-père, à qui elle parle régulièrement au téléphone, lui manque énormément. En Suisse, elle a un permis F, c’est-à-dire une admission provisoire – et cela signifie aussi qu’elle pourrait être renvoyée un jour. «Espérons que non. Nous devrions alors nous intégrer une nouvelle fois, car nous avons entre-temps adopté la culture suisse ou alors il nous faudrait naviguer entre deux cultures», explique Adiam. Mais ça ne l’empêche pas de planifier son avenir avec beaucoup d‘énergie. Elle a terminé une école de commerce et aimerait devenir accompagnatrice sociale ou étudier la pédagogie sociale.

Deuxième patrie
Au cours des onze années qu’Adiam a passées ici, la Suisse est devenue sa deuxième patrie, malgré des débuts difficiles. Elle pense pourtant que son origine jouera toujours un rôle en raison surtout de la couleur de sa peau. Elle a déjà entendu des injures racistes. Et vit souvent des situations dans lesquelles les gens pensent qu’elle ne parle pas l’allemand en raison de la couleur de sa peau.

À 23 ans, elle a déjà vécu beaucoup de choses, parfois difficiles. Malgré cela, elle ne perd pas confiance. «C’est dans ma nature de prendre les choses avec calme», confie Adiam en souriant.